Corrigés de devoir

Sujet

« Parce qu’il est un espace codifié de (re)présentation, de salutation, d’entrée et de sortie des comédiens, le théâtre est à même d’opérer un effet loupe sur la ritualité de nos conduites sociales. […] Il n’est pas rare en effet que les gestes et paroles ritualisés de politesse soient surjoués sur scène, de manière à faire ressortir leur théâtralité mais aussi leur potentiel comique ou inquiétant. » (Victoria Chantseva et Marie Sorel, « ”Politesse, mon cul ?” : transmission et transgression des rituels de politesse dans les albums jeunesse et le théâtre jeune public », Strenæ [En ligne], n°15, 2019.) Vous discuterez ce jugement en prenant appui sur votre culture théâtrale, sans exclure d'autres genres littéraires où apparaissent des effets proches de la théâtralité.

Problématique

Dans quelle mesure ce miroir caricatural de la politesse qu’est le théâtre se contente-t-il de discréditer les codes de la vie sociale ?

I. Quand le théâtre souligne l’étrangeté des pratiques de politesse pour mieux en faire la critique

        La critique des usages policés est un filon prolifique en comédie, que les dramaturges exploitent la plupart du temps en recourant au style burlesque. Des personnages secondaires, censés incarner le raffinement et la maîtrise des codes mondains, s’avèrent en fin de compte aussi malpolis que les autres, et même plus quand le dramaturge en fait des caricatures. Ainsi, au début du Bourgeois gentilhomme (1670) de Molière, les maîtres de danse et de musique se posent en représentants de la civilisation éclairée par les beaux-arts, face à un héros (Monsieur Jourdain) dont la folie est d’imiter les façons distinguées des nobles et de la cour, pour oublier sa condition de marchand roturier enrichi. Pour lui vendre leurs services, ces artistes reprennent de façon condensée (donc déjà plutôt ridicule) les lieux communs humanistes qui mettent l’accent sur l’harmonie propre à l’art musical et chorégraphique (« Tous les désordres, toutes les guerres qu’on voit dans le monde, n’arrivent que pour n’apprendre pas la musique », I, 2). Mais il suffit qu’un maître d’armes entre à l’acte suivant et vante son escrime en dénigrant les beaux-arts, pour que le musicien et le danseur troquent leur finesse contre les insultes et les coups (II, 2). Ce basculement farcesque montre d’emblée que les prétentions sociales et l’ignorance de M. Jourdain ne sont pas les seules cibles de la moquerie : la politesse des gens cultivés si sûrs d’eux-mêmes paraît elle aussi superficielle. On retrouve un jeu du même ordre dans On ne badine pas avec l’amour (1834), où Musset forge un binôme d’ecclésiastiques ventrus et ivrognes, aussi ressemblants que rivaux : Maître Blazius et Maître Bridaine, qui jouissent au départ du respect dû à la culture savante et à l’Église, sont surtout des personnages au service d’un comique burlesque où des élites indignes font la risée du peuple. On voit bien comment la politesse au sens large est souvent dénoncée par l’exagération théâtrale, comme le soulignent Chantseva et Sorel.
       L’écriture fait souvent ressortir le caractère théâtral des amabilités trompeuses. Nul besoin de rappeler les flatteries surjouées du renard comédien dans « Le corbeau et le renard » (I, 2) ; les compliments appuyés dans « Le renard et la cigogne » (I, 18) sont tout aussi trompeurs, mais cette fois, c’est le renard gourmand qui ne se doute pas qu’il va être victime à son tour de la même escroquerie qu’il a commise auparavant (« À l’heure dite, il courut au logis / De la Cigogne son hôtesse ; / Loua très fort la politesse ; / Trouva le dîner cuit à point. ») On peut s’arrêter davantage sur un autre usage plus discret de la politesse dans « Le lion malade et le renard » (VI, 14). Dans l’univers allégorique des fables, le lion, roi des animaux, est le symbole du pouvoir royal et de ses travers. Dans ce poème, la convocation adressée aux autres bêtes est un piège pour attirer des proies ; le lion y met la forme, selon une certaine politesse diplomatique, pour endormir la méfiance de ses victimes (on pense à cette comparaison de La Bruyère dans Les Caractères : « La cour est comme un édifice bâti de marbre : je veux dire qu’elle est composée d’hommes fort durs, mais fort polis »). Ici, le renard, maître en l’art de ruser, ne dénonce pas directement ce coup monté par le souverain (ce serait une grave offense, un fait de lèse-majesté), mais se contente de relever poliment un indice troublant – aucune trace de retour pour ceux qui ont rendu visite au lion :

  • Je le crois bon [le passeport censé protéger les visiteurs] ; mais dans cet antre
  • Je vois fort bien comme l’on entre,
  • Et ne vois pas comme on en sort.

Cette discrète parole est comme une litote, figure typique de l’écriture classique, qui fait mine de dire peu (je ne sais pas comment on sort) pour en dire beaucoup (je sais que personne n’en sort vivant). La politesse en soi apparaît donc bien comme un langage théâtral, qui permet aux hypocrites ou aux malins d’afficher une mine amicale alors qu’ils ont des intentions nocives ou qu’ils en détectent chez leur interlocuteur. C’est pourquoi le théâtre est d’autant plus à même de mettre en avant cette comédie sociale, et c’est pourquoi toute œuvre qui évoque les pièges de ce langage se charge de théâtralité.
      Dans une réflexion plus existentielle, les pratiques du beau monde peuvent finir par apparaître dans certaines œuvres comme un pur rituel, un protocole routinier qui n'aurait d'autre fonction que de masquer le vide de la parole humaine. C’est le cas notamment dans le théâtre du milieu du XXe siècle que l’on range par commodité sous la bannière de l’absurde, sous l’influence des écrits d’Albert Camus. Dans Les Salutations (1950) d’Eugène Ionesco (sous-titré : sketch), à partir de la question rituelle du « Comment allez-vous ? », le dialogue se résume à un tourbillon de formules automatiques et délirantes sans cesse relancées par un « Et vous ? » : l’échange ritualisé se bloque et envahit tout, comme s’il n’y avait plus de langage constructif qui puisse prendre la suite. Samuel Beckett, pour sa part, a centré son écriture dramaturgique sur ce cérémonial des petits gestes et petites phrases par lesquels les personnages essaient désespérément de passer le temps, ou de « tirer [leur] journée », selon les mots de l’auteur, un cérémonial qui est aussi celui du spectacle théâtral, fondé sur la répétition, pour préparer la pièce et la représenter soir après soir. Dans Oh les beaux jours (1963), Winnie, bloquée dans le mamelon qui engloutit le bas de son corps, doit s'occuper avec les objets tirés de son sac à main à partir de la sonnerie du réveil qui marque le début de son effort, ou de son supplice. La sonnerie rappelle bien sûr le début de chaque journée de travail mais aussi le signal que la pièce va commencer. La difficulté de remplir sa vie, pour l'homme, ou d'occuper la scène, pour le comédien, revient pour tous deux à devoir combler le silence et créer du mouvement par de pauvres gestes et paroles routinières, déclenchés par des accessoires. Le caractère de bourgeoise respectable qui définit l'héroïne et les rappels aux bienséances qu'elle adresse à son mari font le lien entre cette façon de remplir le vide et un certain recours aux formules toutes faites de la politesse. On voit bien dès lors comment on peut aisément insister, comme le fait l'étude sociologique qui nous occupe, sur le pouvoir qu'ont le théâtre et la littérature en général de manifester la vacuité de nos "conduites sociales", à commencer par les plus codifiées : les actes de politesse. 

      Cependant, faut-il s'en tenir à cette vision, qui fait la part belle à une littérature transgressive, ennemie des conventions sociales ? Ne peut-on au contraire souligner ce que les œuvres théâtrales nous montrent des excès de la transgression, ou des impasses auxquelles peut mener un certain rejet des usages ?

II. L’intérêt du code : la maîtrise de soi n’est-elle pas un but légitime ? L’« effet loupe » s’applique aussi aux impolitesses cassantes des personnages. La politesse prend alors tout son sens si elle est le signe d’une attention à l’autre.

       Au théâtre, les apôtres de la franchise sans concession ne détiennent pas forcément la vérité sur le vivre-ensemble. C’est par là que la brutalité maladive d’Alceste est criticable, comme Philinte le lui fait remarquer dans leur dispute initiale.
       Prendre conscience de la violence des mots. La difficile franchise des amis qui n’apprécient pas la folie artistique de leur compère dans Art (1994) de Yasmina Reza (née Evelyne, d’une famille irano-russe). (La thèse contre le vernis artificiel de la culture et de l’urbanité qui craque sous la sauvagerie est encore plus radicale dans Le Dieu du Carnage, 2007.) La réconciliation se fait en deux temps. Prendre conscience de la violence des mots (c’est la scène sur Paula), et montrer à l’autre qu’on peut sacrifier ce qui fait notre fierté pour son intérêt.
       Les politesses d’usage mises en lumière dans les scènes de salutation ne sont pas qu’un simple vernis et méritent d’être prises au sérieux. Voir la scène d’ouverture de Juste la fin du monde (1990) de Lagarce : la sœur du héros, Suzanne, souligne l’embarras des salutations entre Louis et Catherine, la femme de son frère, malaise qui se traduit par des gestes (serrer la main plutôt qu’embrasser) et qui rappelle toute la distance qui s’est installée entre lui et sa famille. Les usages comblent l’absence de connaissance et de familiarité au sein d’une famille : donc toute la difficulté de la communication. Voir encore la scène 9 de la première partie — la dispute entre Suzanne et Antoine sur le droit de Catherine et Louis à se vouvoyer. Toute la pièce met en jeu la pudeur et sa capacité à différer la violence des règlements de compte. En réalité, la politesse insistante est à la fois révélatrice des problèmes réels dans cette relation et de l’espoir de les combler sans aller directement au conflit, à l’agôn.

III. La scène est un lieu pour ré-inventer des attaches et des usages communs : le code de parole se disloque pour mieux se recomposer autour d’un autre idéal.

      Le héros est souvent porteur d’une autre norme de respect de soi qui pourrait constituer une nouvelle politesse, un modèle appelé à concurrencer les pratiques trop désenchantées de ses semblables. « Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances » (Cyrano de Bergerac.) Le héros critique la mondanité fondée sur les apparences, en l’occurrence sur le vêtement, mais propose une autre forme de respect de soi et des autres, fondée sur le courage, la vertu et le sens de l’honneur – le « panache », pour reprendre le mot-testament qui clôt la pièce. Est-ce seulement la marque d'une morale de guerrier rétif à la nouvelle politesse de cour, comme dirait Élias, la flamme d’un personnage de Corneille survivant dans un monde de précieuses ridicules et de petits marquis à la Molière ? Pas tout à fait, car cette carapace abrite un secret délicat, que Cyrano défend avec une pudeur jalouse. Ses provocations sont le revers d’une faiblesse intime : son amour pour la « précieuse » Roxane, qu’il n’avouera pas à la principale intéressée jusqu’à sa mort.

  • Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances.
  • Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet,
  • Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
  • Je ne sortirais pas avec, par négligence,
  • Un affront pas très bien lavé, la conscience
  • Jaune encore de sommeil dans le coin de son œil,
  • Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil. (Cyrano de Bergerac, 1897, I, 4.)
     

     On peut aspirer à une transformation de soi qui nous rende plus civilisé sans pour autant épouser les marques prévalantes du bon usage. Dans la petite comédie de Marivaux intitulée Arlequin poli par l’amour (1720), le héros a tout pour inspirer l’amour, si ce n’est qu’il est un rustre centré sur sa gourmandise (quoi qu’on lui dise, il ne pense qu’à manger, sans s'intéresser à la beauté féminine) : la Fée tente en vain de l’éduquer pour en faire son amant. Lorsqu’il découvre la bergère Silva, il mûrit et s’élève symboliquement (le personnage courbé pour ramasser un jouet se relève), mais l’échange conserve la saveur d’une certaine naïveté. La politesse amoureuse qui s’invente ici est intuitive, fondée sur la transparence et l’attirance mutuelle, plutôt que sur la finesse et la prise de pouvoir par la séduction. La plume de Marivaux esquisse un dialogue amoureux qui détourne certains détails concrets pour aller vers une sorte de mauvais goût assumé, comme cet échange sur le mouchoir, un lieu commun de la galanterie repris avec un certain décalage.

  • Silvia. — Que voulez-vous, mon ami ? Ah ! c’est mon mouchoir ; donnez.
  • Arlequin, le tend, et puis le retire ; il hésite. — Non, je veux le garder ; il me tiendra compagnie. Qu’est-ce que vous en faites ?
  • Silvia. — Je me lave quelquefois le visage, et je m’essuie avec.
  • Arlequin. — Et par où vous sert-il, afin que je le baise par là ?
  • Silvia. — Partout ; mais j’ai hâte, je ne vois plus mes moutons. Adieu ; jusqu’à tantôt.
  • (Arlequin la salue en faisant des lazzi, et se retire aussi.)

        En littérature, re-configurer les usages est une tentative qui conduit forcément à se doter d’une nouvelle esthétique. L’impolitesse absolue ou la vulgaire traîtrise un peu scabreuse du jeune souverain Don Carlos qui se cache dans une armoire pour espionner sa belle dans la première scène triviale d’Hernani (1830). Irruption d’un concret qui dérange le code de la tragédie attendue : accepte-t-on d’envisager la bassesse des puissants ? Admet-on le trivial au sein du poétique ? Le drame romantique commence à réorganiser nos manières et notre esthétique d’une façon qui dure encore de nos jours.

 

 

 

 

Voici différents corrigés anciens qui peuvent vous servir de modèles pour travailler votre technique.

Introduction sujet Grivel sur le roman - 2022

     

    « Chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. » (Baudelaire, « Théophile Gautier », dans L’Artiste, 1859). Ce mot fameux du poète à propos du grand romancier réaliste de la première moitié du XIXe siècle peut être entendu de diverses façons : il renvoie d’abord à une puissance de style qui « enchante » la réalité ou la transfigure ; plutôt que de se limiter à une simple imitation du réel, le romancier charge ses descriptions d’« énergie » et de charisme, si bien que tout personnage y devient plus marquant, dans le beau ou dans le sordide. Mais cet art du portrait mémorable ne tient-il pas aussi au fait que, dans un roman de Balzac, rien n’est laissé au hasard ? Chaque intervention, chaque prise de parole d’un personnage, même la plus anodine, offre un reflet miniature de l’intrigue d’ensemble ou d’un de ses enjeux moraux. Dès lors, tous les ingrédients du récit prennent une valeur exemplaire : partout, le lecteur averti rencontre des avertissements, ou des « exemples » à l’appui d’une démonstration. C’est du moins ce sur quoi Charles Grivel attire notre attention en définissant le roman comme une pratique d’« exemplarisation », au sens d’une fabrication d’exemples parlants : « Roman signifie exemplarisation. Le roman prouve. Il constitue un discours parabolique, illustratif, donne à souscrire à un sens. Raconter suppose la volonté d’enseigner, implique l’intention de dispenser une leçon comme aussi celle de la rendre évidente. » (Production de l’intérêt romanesque, 1973.) Ce jugement insiste sur la fonction didactique de l’œuvre romanesque, qui suppose une construction rigoureuse du texte autour d’une affirmation directrice, voire d’une « thèse » à démontrer. L’adjectif « parabolique » assimile le roman aux paraboles des Évangiles, et donc au genre de la fable ou de l’apologue, récit allégorique destiné à ancrer dans l’esprit de l’auditoire un précepte ou une moralité à retenir. Le matériau romanesque (les personnages et leurs aventures, pour faire simple) serait donc avant tout symbolique ; pour bien comprendre un roman, il faudrait se concentrer sur la vérité qu’il cherche à mettre en images à travers les différentes péripéties. Mais à vrai dire, il n’y aurait pas grand risque de passer à côté de l’essentiel, selon Grivel, puisque cette conclusion vers laquelle le romancier nous conduit s’imposerait comme une « éviden[ce] » qui nous sauterait aux yeux en avançant dans la lecture. Une telle définition nous invite donc à étudier la façon dont une sagesse peut se formuler à travers le genre du roman, selon une certaine organisation de l’œuvre et une certaine relation entre l’auteur et son lecteur. Mais il ne va pas de soi de ramener le genre romanesque au fonctionnement clair et codifié d’une fable. Nous tâcherons donc de voir si la tendance du roman à exhiber une aventure édifiante fait de ce genre littéraire le « donneur de leçons » par excellence. Autrement dit, dans quelle mesure l’écriture romanesque vise-t-elle à éduquer le lecteur en le menant vers une conclusion déterminée ?   

   Il est sûr que l’intrigue romanesque est souvent guidée par la volonté de montrer un certain fonctionnement du monde et des erreurs à ne pas commettre, comme nous le verrons en Ière partie. Cependant, la « leçon » à tirer des grands romans n’est pas toujours univoque ; au contraire, la vérité peut s’y présenter sous un jour trouble et contradictoire : ce sera l’objet de la IIe partie. Dès lors, l’éducation que dispense l’œuvre romanesque ne tient-elle pas avant tout à l’exercice d’élaboration du sens que le lecteur doit engager face à la pluralité des discours qui traversent le roman ? Telle est l’hypothèse qui orientera la IIIe partie.

 

Un exemple de bon devoir – sujet Cioran

Bonne copie devoir cioranBonne copie devoir Cioran (12.63 Mo)

 

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